Retard diagnostique dans la détection des complications au cours du postopératoire immédiat, communication et coordination d’équipe déficientes.
Au total, la patiente subira 9 interventions dont 8 dans un contexte d'urgence septique ou hémorragique, ainsi que de nombreux gestes de pansements sous anesthésie générale, durant la période du 19 avril au 28 juin 2010.
Le 27 juin 2011, plus de deux ans après l'intervention initiale, la patiente sera transférée dans un service hospitalier gériatrique pour personnes totalement dépendantes sur le plan médical.
Le bilan fait à cette occasion, mentionne :" (...) Madame X... n'est pas autonome pour l'ensemble des gestes élémentaires de la vie quotidienne. Elle ne peut être mobilisée et verticalisée que dans des conditions exceptionnelles, nécessitant le recours obligatoire à un dispositif mécanique d'aide à la mobilisation.
Elle n'a aucune autonomie sur le plan alimentaire et dépend d'une nutrition parentérale nocturne quasi-complète. L'alimentation par voie orale fractionnée, de confort, ne peut être que de très faible quantité, sur le plan calorique, en raison du syndrome du grêle court.
Des écoulements purulents nauséabonds s'écoulent en permanence à la partie inférieure de la cicatrise médiane...
Au total, la patiente est grabataire et totalement dépendante de soins médicaux et infirmiers spécialisés qui nécessitent son hospitalisation continue et définitive dans une structure gériatrique spécialisée, fortement médicalisée (...)"
Décès de la patiente le 12 novembre 2012
Assignation du chirurgien, des anesthésistes et de la clinique, en juin 2009, par la patiente pour obtenir l’indemnisation du préjudice qu’elle avait subi.
Ce matériel est réservé à un usage privé ou d’enseignement. Il reste la propriété de la Prévention Médicale, et ne peut en aucun cas faire l’objet d’une transaction commerciale.
Expertise (mai 2012)
L'expert, professeur des universités, chef de service de chirurgie, estimait que, compte-tenu des résultats des examens endoscopiques et radiologiques pratiqués chez la patiente, l'indication opératoire était parfaitement justifiée.
"(...) L'intervention avait été pratiquée de manière consciencieuse, attentive et en conformité avec les données acquises de la science... En peropératoire, un arc électrique ou une manipulation chirurgicale avait été à l'origine de deux plaies de l'intestin grêle. Il s'agissait de complications possibles de la chirurgie digestive sous cœlioscopie et par laparotomie. Ces plaies digestives, le plus probablement expliquées par la survenue d'un arc électrique, sont passées inaperçues lors du temps de laparotomie. Il s'agit d'une complication inhérente à ce type de chirurgie (aléa thérapeutique), qui ne peut pas être qualifiée de négligence ou de faute (...)"
En revanche, pour l'expert, la prise en charge de la patiente dans la nuit du 4 au 5 juin et la journée du 5 juin n'était pas conforme aux données acquises de la science, ni aux règles de prise en charge des patients dans les structures d'hospitalisation postopératoire : "(...) Les infirmières ont constaté dès 06 h 30 dans la matinée du 5 juin, que l'état de la patiente se dégradait avec des anomalies cliniques majeures laissant craindre une complication grave (chute importante de la diurèse, écoulement de liquide digestif par un des Redons):
-les infirmières ont clairement noté ces anomalies de manière chronologique dans le dossier de la patiente, et sur la fiche de relève infirmière mais aucune décision n'a été prise;
-le chirurgien n'est pas venu dans le service d'hospitalisation le 5 juin au matin et n'a, donc, pas pris la mesure de la complication qui était en cours.
-l'anesthésiste n'est pas non plus passé voir les opérés, ce même matin considérant que cette visite avait été faite par le chirurgien.
Dans cet établissement, il ne semble exister aucun document écrit, aucune procédure d'organisation des soins, définissant les responsabilités de chaque groupe professionnel et le mode d'intervention en cas d'urgence. Les infirmières paraissent livrées à elles-mêmes pour la détection et le signalement des complications (...)".
En ce qui concernait la réintervention faite par le chirurgien le 5 juin vers 18 h 00, l'expert estimait qu'elle était justifiée mais qu'elle avait été réalisée avec plus de 10 heures de retard car elle aurait dû être programmée dès 06 h 30. En outre, l'expert reprochait au chirurgien lors de cette opération (...) de ne pas avoir réalisé un examen suffisamment exhaustif de l'intestin grêle de la patiente. L'utilisation d'une voie d'abord médiane sous-ombilicale dans un contexte d'urgence avec choc septique rendait difficile et très aléatoire l'examen exhaustif de la partie haute de l'intestin grêle et, en particulier, du jéjunum où avait été trouvée la seconde perforation, quelques heures plus tard (...)" Pour l'expert, cela permettait d'affirmer que le chirurgien, en l'occurrence, avait fait preuve de négligence.
Enfin, l'expert considérait que, dans la nuit du 5 au 6 juin, l'anesthésiste de garde avait, lui aussi, fait preuve d'une grave négligence : "(...) Averti par les infirmières, dès 03 h 30 de la réapparition d'un écoulement bilio-digestif dans l'un des drains abdominaux, ce qui permettait d'expliquer la poursuite du choc septique et de l'aggravation de la patiente alors que la réintervention aurait dû permettre de les améliorer, il n'a pas jugé bon d'en informer le chirurgien bien que cette constatation imposait une nouvelle intervention en urgence avant que la situation clinique et hémodynamique ne devienne incontrôlable. A noter que cette information n'a pas été non plus transmise aux médecins du CHU avec lesquels l'anesthésiste était entré en contact pour transférer la patiente (...)".
En conclusion, l'expert attribuait la responsabilité du préjudice subi par la patiente pour 60 % au chirurgien, 20 % à l'anesthésiste et à l'équipe infirmière de la clinique et 20 % à l'anesthésiste de garde.
Jugement du TGI (janvier 2016)
Bien que se fondant sur les dysfonctionnements signalés par l'expert, les magistrats retenaient un partage différent de responsabilité : "(...) Compte-tenu de l'équivalence de gravité, entre le retard anormalement long de la clinique du fait de son personnel infirmier à déclencher une aide médicale suite à la première complication, l'insuffisance du geste opératoire du chirurgien lors de la réintervention, et la négligence des deux anesthésistes après avoir été dument alertés, l'anesthésiste de la malade de la première complication et l'anesthésiste de garde, de la seconde complication, la clinique, le chirurgien, l'anesthésiste de la malade et l'anesthésiste de garde seront déclarés responsables de l'ensemble des conséquences dommageables de ces fautes médicales , à hauteur d'un quart chacun (...)".
Indemnisation de 1 248 090 € dont 748 391 € pour les organismes sociaux.
COMMMENTAIRES SUR LES ARCS ELECTRIQUES PEROPERATOIRES (ref 2,3,4,5)
Au cours des cœlioscopies, la coagulation monopolaire comporte un risque de brûlures à distance du point d'application, par arc électrique (ref 4). Ce risque est estimé entre 0,1% et 0,5% des cœlioscopies (ref 3,5). Le diagnostic de cette complication est souvent difficile en per-opératoire en raison du champ de vision réduit de la cœlioscopie, d'autant que ces brûlures ne se manifestent que par une tâche blanchâtre sur une anse digestive (ref 4) (voir photo ref 2,5). En fait, cette complication est vraisemblablement sous-évaluée car, la plupart du temps méconnue lors de l'intervention. Elle se révèle, le plus souvent, secondairement, lors de la chute d'escarre, sous la forme d'une péritonite (ref 4,5), qui n'est pas toujours rattachée à sa cause (ref 5).
La cause principale de cet accident est un défaut d'intégrité des instruments gainés utilisés en cœlioscopie, ce qui entraîne un risque de brûlure, en dehors du champ de vision, par concentration de courant à l'endroit du défaut d'isolation (ref 5 voir schéma). Le frottement à travers les trocarts (réducteurs, valves) fragilise les gaines (ref 5 ).
Un défaut de gainage non visible suffit pour conduire le courant (ref 5). Or les défauts de gainage détectés par un testeur électrique sont beaucoup plus fréquents que ceux détectés à l'œil nu. Au CHU de Toulouse, sur 538 pinces de cœlioscopie, un défaut de gainage était détecté par test visuel dans 4 % des cas et par testeur électrique, dans 34 % (ref 5). Des résultats comparables ont été publiés par Roselli et coll (Service de stérilisation - Pôle pharmacie du CHU de Grenoble. (ref 3).
Pour ces raisons, le Service de stérilisation centrale du CHUV (Lausanne) a décidé de faire un contrôle systématique, par testeur électrique, de tous les instruments de cœlioscopie, à chaque cycle de retraitement, après le lavage et avant le reconditionnement. D'après l'expérience de ce service, c’est une démarche simple et rapide, qui ne demande pas de ressource humaine supplémentaire. Entre 2008 et 2010, 0,3 à 0,6 % des 6 000 à 11 000 instruments testés chaque année, se sont révélés défectueux. Ils ont été envoyés en réparation et remplacés dans les plateaux par des instruments de réserve. Pour le CHUV (Lausanne), cette organisation semble plus simple que le même contrôle, pratiqué aux USA, juste avant l'utilisation au bloc opératoire, par les infirmières instrumentistes (ref 2).
HAS- Colectomies par coelioscopie ou par laparotomie avec préparation par coelioscopie
Avril 2007
Evaluation des Actes Professionnels
2) http://www.sssh.ch/uploads/media/f0412_cavin2_F.pdf
Cavin F.Mise en place d'un contrôle systématique des instruments gainés de laparoscopie
CHUV Lausanne 2012
Roselli A. et coll Risque lié à l'utilisation de source électrique : contrôle des instruments gainés
CHU Grenoble 2014
4) http://www.icarweb.fr/IMG/pdf/3-08.pdf
Guelon D., Scchoeffler P.La cœliochirurgie que j'aimerais faire reprendre
5) http://www.chirurgie-viscerale.org/rc/org/chirurgie-viscerale/htm/Article/2011/20111020-142732-143/src/htm_fullText/fr/2_Accidents_coelioscopie.pdf
Gravié J-FAccidents électriques en chirurgie coelioscopique 113ème Congrès Français de Chirurgie oct 2011
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Périopératoire : retard diagnostique d’une complication après colectomie cœlioscopique